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Compte rendu de la conférence de Dominique DORMONT dans le cadre de l’Université de Tous Les Savoirs, au CNAM le Dimanche 12 Mars 2000
Le présent compte rendu a été réalisé au moyen de notes prises en séance et de la retransmission sonore de la conférence disponible sur www.telerama.fr
Il n’a fait l’objet d’aucune validation par l’intervenant et ne saurait
donc engager sa responsabilité.
Les Encéphalopathies Subaigües Spongiformes
Transmissibles (ESST) :
le risque pour la santé publique humaine
Dominique DORMONT est Président du groupe d’experts français sur les maladies à prions
CEA — CRSSA Fontenay
Les différentes ESST
Ces maladies touchent aussi bien l’homme que l’animal
Chez l’homme
Vacuoles (spongiose : aspect d’éponge en microscopie)
Prolifération des cellules gliales (soutien des neurones) : gliose
Des tests sur les hamsters ont montré la très grande infectiosité (1011) des tissus du Système Nerveux Central atteints (1 g de broyat de cerveau infecté peut contaminer 100 milliards de hamsters sains)
Pas de contagion pour les formes humaines d’ESST
Exemple d’ESST : le Kuru
Dans une région de Papouasie (peuplade des forêts), mortalité 2 à 3% des populations concernées par an, fréquence bien plus élevée chez les femmes et les enfants.
Un enfant de cette peuplade transplanté très tôt dans sa vie ailleurs ne développera jamais de Kuru. Il existe donc un agent infectieux, le développement de la maladie est lié à l’exposition à 1 agent infectieux (rite cannibale, les femmes et les enfants mangeaient le cerveau des morts)
Des enfants provenant de tribus voisines, immergés dans la vie des populations touchées par le Kuru, n’ont pas développé la maladie.
Il y a donc deux conditions pour développer un Kuru : un génotype particulier et une exposition à un agent infectieux
Ces caractéristiques sont communes à l’ensemble des ESST, " sauf peut-être l’ESB "
Actuellement, un cas de Kuru développé il y a quelques mois, suite à un seul repas funéraire il y a 47 ans.
L’hypothèse du prion
La seule caractéristique mise en évidence dans cette maladie est l’accumulation de certaines protéines, plus particulièrement la PrP (Protéine du prion)
La PrP est actuellement indissociable de l’agent infectieux. Elle constituerait l’agent infectieux dans l’hypothèse " prion ", qui est aujourd’hui l’hypothèse la plus fréquemment admise.
La PrP est une protéine que l’on trouve avant infestation, et qui est normalement accrochée à la face externe de la membrane cellulaire.
La séquence des acides aminés de la PrP est la même dans la protéine " normale " et dans sa version " infectée ". Sa structure dans l’espace, en revanche, est différente d’un état à l’autre.
Dans l’hypothèse " prion ", le changement de forme de la PrP la rend résistante aux enzymes protéolytiques, d’où son accumulation sous la forme " infectée ".
Le gène de fabrication de la PrP est connu, il s’agit d’un gène très simple situé sur le chromosome 20 chez l’homme. Son fonctionnement est normal (activité " normale ") chez les sujets infectés, mais la forme de la PrP synthétisée est différente…
La MCJ
3 formes de MCJ :
Il y a en France environ 1 cas de MCJ par million d’habitants chaque année.
Signes clinique s : démence, secousses musculaires, troubles de l’équilibre.
Dans les formes familiales, on observe toujours une mutation dans le gène codant la synthèse de la PrP.
Les ESST chez les animaux
La tremblante du mouton est présente partout sauf en Australie et en Nouvelle Zélande (qui ont réussi à l’éradiquer)
Troubles neurologiques et prurit
Etat des connaissances
Il n’y a aucun traitement actuellement, on est même incapables de ralentir la progression de la maladie lorsque celle-ci se déclare.
Transmissibilité inter espèce (par voie intra cérébrale) :
Homme vers singe, cochon d’inde, souris, hamster, rat, furet, vison
Le déterminisme de la transmissibilité interespèce est connu : il s’agit de la similitude de la PrP du donneur et du receveur.
Hamster PrP 90% homologue à celle de l’homme, 95% transmissibilité.
Souris PrP 70% homologue à celle de l’homme, 15% de transmissibilité.
La PrP qui s’accumule dans l’individu infecté est sa propre PrP, et non celle de l’individu contaminant. Il a donc " hérité " l’anomalie du " donneur ", puis cette anomalie s’est propagée au sein de l’individu infecté.
Que se passe-t-il pendant la période d’incubation ?
Chez les souris, le titre infectieux augmente rapidement dans la rate et les ganglions (à partir du jour 7), le titre infectieux sera ensuite en plateau à partir du jour 50. Le titre infectieux n’est détectable dans le cerveau qu’à compter du 80ème jour, puis il grimpe de façon quasi exponentielle. Les signes cliniques n’apparaissent qu’à partir du 160ème jour.
Cela signifie que pendant la phase d’incubation il y a des organes qui sont hautement infectieux, l’agent se multiplie dans le cerveau et dans le système immunitaire (tout du moins chez la souris…).
Ceci a conduit l’OMS à classer les organes en 4 catégories
en fonction de leur infectiosité :
Catégorie I
(haute infectiosité) |
Système Nerveux Central
(lequel inclut les yeux et l’oreille interne…) |
Catégorie II
(infectiosité moyenne) |
rate, amygdales, ganglions lymphatiques, intestin, placenta… |
Catégorie III
(infectiosité minimale) |
tronc nerveux, foie, pancréas, poumon… |
Catégorie IV
(aucune infectiosité détectée à ce jour) |
muscle squelettique, lait, sérum |
Quels sont les paramètres de la transmission des prions ?
Il existe des paramètres liés à l’inoculum, à l’origine de la contamination, au mode de transmission ou au récepteur de la contamination (paramètres génétiques, et de façon très mineure paramètres liés au sexe ou à l’âge du récepteur).
A titre d’exemple, incidence du mode de transmission :
Si l’on appelle " unité infectieuse "la plus petite quantité
de broyat de cerveau qui est suffisante pour donner la maladie dans 100%
des cas lorsqu’on l’inocule par voie intracérébrale, alors
on obtient le tableau suivant :
Voie de transmission |
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Intracérébrale |
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Intraveineuse |
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Intra-péritonéale |
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Sous-cutanée |
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Orale |
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La voie " royale " de transmission des prions est donc la voie chirurgicale, et il faudra faire particulièrement attention en neurochirurgie, en ORL, en ophtalmologie et en neurologie.
Résistance à l’inactivation
Résistance très élevée à l’inactivation, par exemple les radiations ionisantes utilisées en chirurgie pour désinfecter le matériel n’ont aucun effet sur le prion.
Ainsi, 24 heures à 160 d° C en atmosphère sèche n’inactivent pas totalement 107 unités infectieuses ni 320 d° C pendant une heure, ni 600 d° C pendant 15 minutes.
Les trois traitements ayant montré leur efficacité sont ceux qui ont une incidence sur la forme de la PrP. L’altération des acides nucléiques n’a pas d’incidence sur l’infectiosité. Ces traitements sont :
Chez l’individu normal on ignore son rôle. En revanche, chez l’individu infecté, on, sait donc que la PrP règle la barrière d’espèce, règle la susceptibilité individuelle et a un rôle central dans la pathogénèse.
En Suisse, on a fabriqué des souris " KO pour le gène de la PrP ", sans aucune PrP. Ces animaux sont parfaitement viables et ne peuvent pas être infectés par un prion.
La PrPc (protéine PrP " normale ") a majoritairement des structures en hélice, alors que la protéine PrPSc (protéine PrP pathologique) a majoritairement des structures en feuillets bêta-plissés.
Ceci a conduit Prusiner à proposer, après modélisation informatique, que la PrPc serait composée de 4 hélices, la transition entre la protéine normale et la protéine pathologique se faisant par perte de 2 des 4 hélices, et acquisition en lieu et place de 4 structures en feuillets bêta-plissés (transconformation de la PrP).
On sait maintenant à quoi ressemble réellement la protéine normale (travaux à Zurich) : 3 hélices alpha, 2 petits feuillets bêta-plissés, une longue queue flexible qui pourra adopter beaucoup de conformations différentes (selon le caractère infectieux ou non).
Accidents en hôpitaux
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3 | Greffes de cornées |
2 | Electrodes dans le cerveau |
5 | Instruments de neurochirurgie |
104 | Greffes de dure-mère |
130 | Hormones de croissance |
5 | Gonadotrophine |
Hormone de croissance :
3 pays touchés :
968 enfants ont été traités pendant cette période, 65 sont décédés à ce jour.
Depuis 1987, l’hormone de croissance utilisée est fabriquée par génie génétique et n’a donc plus ce risque.
L’inoculation chez des hamsters de globules blancs de patients atteints de cette forme de MCJ a provoqué l’apparition de la maladie chez les hamsters.
Les personnes ayant été traités par l’hormone de croissance extractive doivent donc être exclues du don de sang.
Les individus Val-Val ou Met-Met représentent 50% de la population, chez les enfants atteints de MCJ suite à traitement par l’hormone de croissance la proportion d’homozigotes passe à 90%. L’homozygotie pour le codon 129 constituerait donc, selon les équipes anglaises, le déterminant génétique à la susceptibilité de toutes les formes de MCJ.
Un " prion " c’est donc la molécule PrP qui a adopté une structure tridimensionnelle anormale stable. Cette structure tridimensionnelle anormale stable va se propager au sein de l’organisme infecté, et voire d’un organisme à un autre.
Comment schématiser ça aujourd’hui ?
La protéine PrP synthétisée, exprimée à la surface de la cellule, au bout de 5 heures en moyenne va être réinternalisée par la cellule, pour être dégradée.
Par le calcul informatique (il s’agit d’un modèle), on montre qu’à partir de la structure stable de la PrP normale (" PrPc ") on peut générer une structure instable normale qu’on appelle " PrP* ". Cette PrP* a une vie très courte et va rapidement redonner la forme stable PrPc.
Mais si au moment ou cette structure instable normale est générée il existe dans l’environnement une protéine anormale, il va y avoir " accrochage " entre les deux formes (dimérisation) qui fait que la protéine normale va adopter la structure tridimensionnelle de la protéine anormale à laquelle elle s’est attachée.
Donc à partir d’une protéine normale et d’une protéine anormale on va avoir 2 protéines anormales, qui ne vont pas être détruites par les enzymes protéolytiques et vont donc perdurer dans l’environnement, et interagir avec d’autres protéines normales :
PrPc + PrPSc -à PrP* + PrPSc à 2 PrPSc
C’est ce qu’on appelle la théorie de la transmission de conformation pathologique, par interaction directe protéine-protéine.
Prusiner, en 96, a montré la nécessité de l’existence
de protéines " chaperonnes " (appelées protéines X)qui
gouverneraient le passage de la PrP* a la PrPSc.
L’épidémie de " vaches folles "
Premiers cas en 85, premier cas effectivement diagnostiqué, après examen du cerveau : fin 86.
Entre fin 86 et mi-88 les scientifiques britanniques ont " tout " démontré :
L’ESB mettant 5 ans à incuber, les effets de la mesure administrative ne se voient que 5 ans après, et effectivement le nombre de cas diminue. C’est donc bien ce qu’il fallait faire…
Le point important c’est cette courbe (évolution du nombre de bovins infectés en fonction de leur date de naissance). Aucun bovin NAIF n’aurait dû développer la maladie… Il y en a 40 000 !
Explication des cas NAIFs
Persistance de l’agent infectieux dans l’environnement | Aucun élément n’a été identifié dans ce sens |
Transmission mère-veau | On estime la probabilité de transmission de la mère au veau à 5% des cas dans les 6 derniers mois de l’incubation de la maladie chez la mère. C’est donc un mode de transmission mineur, et qui ne permet pas d’expliquer les presque 40 000 cas NAIFs |
Fraude sur les farines animales | L’hypothèse de mise sur le marché de farines qui n’auraient pas dû l’être est probablement celle qu’il faut retenir aujourd’hui |
Risques pour l’homme
On peut les analyser à trois niveaux :
Risques liés à la promiscuité avec les bovins malades
Des ruminants sauvages dans les zoos britanniques ont développé des ESST, alors qu’ils étaient nourris avec les mêmes farines que les bovins.
Les britanniques ont mené une expérience sur une quarantaine de veaux : ils les ont infectés par voie orale avec de l’agent bovin et ont tué deux veaux tous les deux mois. Ils ont ensuite inoculé à des souris tous les tissus et tous les fluides biologiques issus de ces veaux, et ont ainsi pu tracer l’infectiosité.
L’agent infectieux disparaît totalement durant les quatre premiers mois, réapparait au bout de six mois dans l’iléon terminal, et cette infection (à un niveau modéré mais détectable) persiste pendant pratiquement toute la durée de la période d’incubation. A partir du 30éme mois on commence à trouver l’agent infectieux dans le ganglion rachidien, et à partir du 32éme mois dans la moëlle épinière et dans le Système Nerveux Central, jusqu’au décès de l’animal vers 35-37 mois.
Depuis 7 ans on n’a jamais réussi à infecter un porc par voie orale. Les porcs étant consommés la plupart du temps avant 6 mois, on considère que la consommation de porc ne présente pas de risque significatif.
On n’a jamais réussi à transmettre d’ESST à des poules, quel que soit le mode de transmission.
1 g de cerveau infecté suffit pour infecter un veau par voie orale, 0,5 g pour un mouton.
Les 6 premiers patients chez lesquels on a diagnostiqué une nvMCJ ont d’abord été hospitalisés en hôpitaux psychiatriques. Les symptômes diffèrent de la MCJ classique : crises de démence, douleurs des lombes et des membres, durée beaucoup plus longue (14 mois en moyenne), plaques florides dans le cerveau des personnes décédées.
Si on n’a pas pu prouver la transmission de l’ESB à l’homme, on l’a montrée chez des primates inoculés à partir de tissus bovins infectés. On doit donc aujourd’hui considérer que l’agent infectieux de l’ESB est celui qui transmet à l’homme la nvMCJ.
L’agent bovin est donc capable d’infecter des moutons, des chèvres, des élans, des antilopes, des souris, des chats, des pumas, des guépards, des lions… et également l’homme.
Le gros problème que nous avons aujourd’hui c’est :
" quel est le comportement biologique de cet agent bovin passé chez l’homme ? "
Est-ce qu’il se comporte comme un agent de la MCJ habituel, auquel cas toutes les mesures sanitaires qui sont en place, en particulier dans les hôpitaux pour la stérilisation, sont efficaces, ou bien est-ce qu’il se comporte différemment, auquel cas il faudrait engager très rapidement des actions de recherche pour évaluer le risque transfusionnel, le risque lié aux greffes et celui lié aux interventions neurochirurgicales.