Le rapport Phillips
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Disponible en version intégrale et en anglais : http://www.bseinquiry.gov.uk/index.htm

Un article dans le Courrier International en français évoquent quelques points de ce rapport

Les deux erreurs des experts britanniques

"Financial Times" (Londres)
 
Selon le rapport Phillips, l’épidémie ne vient pas du mouton, mais d’une mutation génétique chez une vache. Par ailleurs, les mesures prises en 1987 dans le traitement des farines animales n’ont rien amélioré.

A la publication, fin octobre, du rapport d’enquête britannique sur l’ESB (rapport Phillips), presque tous les commentaires s’attachèrent aux manquements décelés dans le travail des pouvoirs publics : absence de transparence, communication interne insuffisante, etc. Mais cette lecture a éclipsé certaines des conclusions scientifiques les plus fascinantes de ce rapport en 16 volumes.

Les résultats les plus parlants obtenus par lord Phillips et son équipe concernent les conditions d’apparition de l’ESB au sein du cheptel bovin britannique. En 1987, les scientifiques du Laboratoire vétérinaire central (CVL), institution publique britannique, ont identifié pour la première fois la maladie de la “vache folle”. Ils ont estimé, à juste titre, qu’elle était provoquée par le recyclage de déchets d’origine animale sous forme de farines protéinées à base de viande et d’os. Mais ils ont tiré deux conclusions erronées, qui ont eu d’importantes conséquences sur la façon dont le gouvernement a combattu l’épidémie chez les bovins et tenté d’en prévenir la propagation chez les êtres humains. Ces deux idées fausses influent grandement sur la situation actuelle.

En premier lieu, les scientifiques du CVL ont mis en cause la modification des méthodes de cuisson des déchets à la fin des années 70 et au début des années 80. C’est pour cette raison que l’infection résiste au processus de fabrication des farines protéinées pour bovins, affirmaient-ils. En effet, le procédé de stérilisation avait été modifié : allongement de la durée de cuisson, mais baisse de la température. En outre, l’extraction de solvants avait été abandonnée. Cette explication semblait raisonnable en 1987 : à l’époque, personne ne connaissait précisément l’agent infectieux responsable des encéphalopathies spongiformes telles que l’ESB chez les bovins, la tremblante du mouton chez les ovins et la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez les êtres humains. Bon nombre de scientifiques croyaient alors à l’existence d’un quelconque “virus lent”. Aujourd’hui, les chercheurs sont d’accord sur le fait que l’agent infectieux est un prion, une protéine pathogène pratiquement indestructible en raison de sa forme. (La théorie du prion suscita tout d’abord la controverse lorsqu’elle fut avancée, en 1982, par Stanley Prusiner, un biochimiste de l’Université de Californie, à San Francisco. Elle est parfaitement admise par la communauté scientifique depuis 1997, année où Prusiner reçut le prix Nobel de médecine.) La commission Phillips est arrivée à la conclusion que les précédentes méthodes de cuisson auraient été tout aussi incapables d’inactiver les prions. Elle disculpe donc l’industrie, qui n’a pas pu provoquer par inadvertance l’apparition de l’ESB en modifiant les méthodes de préparation.

 

Les experts vétérinaires du gouvernement britannique ont commis une deuxième erreur, plus grave, à la fin des années 80 : ils sont partis du principe que l’ESB dérivait de la tremblante du mouton, seule maladie similaire connue affectant les animaux d’élevage. Ils ont cru que la tremblante du mouton avait franchi la barrière des espèces lorsque des bovins avaient consommé des farines carnées à base de carcasses de moutons. Ce postulat avait l’avantage d’être rassurant. En effet, des études épidémiologiques poussées démontraient que la tremblante du mouton n’avait jamais provoqué la maladie de Creutzfeldt-Jakob, alors que les moutons et les agneaux malades entraient dans la chaîne alimentaire humaine depuis plus de deux cents ans. D’où ces commentaires apaisants délivrés à l’adresse des politiques et de la population : les risques sanitaires liés à la consommation de boeuf malade de l’ESB étaient minimes.

Le rapport Phillips dépeint une réalité beaucoup plus inquiétante. Sur la base des recherches scientifiques les plus récentes, cette étude affirme que l’ESB est une maladie entièrement nouvelle, née par hasard d’une mutation intervenue dans le cerveau d’une seule et unique vache, sans doute dans une ferme du sud-ouest de l’Angleterre et dans les années 70. Cette mutation aurait transformé une protéine cérébrale normale, la protéine du prion (PrP), en prion infectieux. (Dans un cerveau sain, le rôle de la PrP n’est pas encore connu. Selon des études récentes, elle pourrait toutefois intervenir dans la transmission de signaux entre les cellules.) Lorsqu’un prion anormal est présent dans le cerveau, il transforme les PrP en prions infectieux selon une réaction en chaîne biochimique - un processus lent mais mortel.

Si l’on en croit le rapport Phillips, c’est donc par hasard que l’ESB est née sur le territoire britannique. Cette maladie aurait pu se déclarer à tout moment et dans tout pays industrialisé ayant commencé à recycler les déchets animaux au début du XXe siècle pour en faire des aliments riches en protéines. Au Royaume-Uni, cette forme de “cannibalisme” a été interdite tardivement, en 1996, lorsque les premiers cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ ou ESB humaine) ont été confirmés. Mais elle reste monnaie courante dans de nombreux pays du monde.
Si les autorités avaient su dans les années 80 que l’ESB était une maladie entièrement nouvelle - beaucoup plus infectieuse pour les êtres humains que la tremblante du mouton -, elles auraient peut-être pris des mesures plus radicales pour maintenir les prions de l’ESB hors des chaînes alimentaires humaines et animales. Jusqu’en 1996, des traces d’ESB présentes dans les farines protéinées destinées aux autres animaux ont continué à se propager aux bovins par contamination croisée dans les minoteries. Mais il y a plus grave : la population a continué à manger des fragments de moelle épinière potentiellement pathogènes, qui n’étaient pas retirés systématiquement dans les abattoirs.

Il ressort de ce rapport que la population pourrait avoir consommé de la viande contaminée pendant une vingtaine d’années, entre 1975 et 1995 environ. Or, jusqu’à présent, pour prévoir l’évolution du nombre de cas de vMCJ, la plupart des épidémiologistes partaient du principe que la contamination s’était produite pendant une période assez courte, dans la seconde moitié des années 80. Voilà qui est loin d’être rassurant, mais les projections sont si aléatoires - on ignore toujours la durée d’incubation chez les êtres humains - que ces conclusions ne modifient pas réellement les fourchettes de chiffres publiées précédemment. On dénombre à ce jour 85 cas de vMCJ. Selon le scénario le plus optimiste, la maladie aurait déjà atteint son point culminant, et ne devrait pas tuer, en tout, plus de 150 personnes. En revanche, si la période d’incubation se révèle très longue, on pourrait déplorer plus de 100 000 victimes au cours des prochaines décennies. D’ici un à deux ans, nous devrions savoir avec un peu plus de certitude si nous avons affaire à une crise grave et onéreuse ou à une catastrophe sanitaire.

Clive Cookson

Courrier International 23/11/2000, Numero 525
 
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