Plantes photosensibilisantes
Voir Berce spondyle, Millepertuis et Trèfle hybride
La photosensibilisation se caractérise par une hypersensibilité de la peau à l’action des
rayons solaires [22].
Principes toxiques :
La photosensibilisation résulte de la présence, dans la circulation périphérique, de
substances photodynamiques (la plupart étant douées de fluorescence) telles que la
phylloérythrine (dérivée de la chlorophylle) libérée suite à l’action d’une substance
hépatotoxique ou telles que l’hypéricine qui est une substance photosensibilisante
directement présente dans la plante (millepertuis). Il existe des substances d’origine
médicamenteuse, végétale ou endogène, ayant une action photosensibilisante directe ou bien
des substances d’origine médicamenteuse, infectieuse ou végétale ayant une action
photosensibilisante indirecte par hépatotoxicité avec formation de porphyrines ou de
phylloérythrine :
- Substances photosensibilisantes d’origine médicamenteuse : éosine, fluorescéine,
violet de méthyle, érythrosine, rouge neutre, bleu de toluidine, rose de magdala,
rose bengale, fuschines, phénolphtaléine, jaune d’acridine (et ses dérivés directs),
phénothiazine (et ses dérivés directs), vaseline, lanoline, sulfamides, tétracyclines,
hématoporphyrine, tétrachloro-salicylanilide, flavones
- Substances photosensibilisantes d’origine végétale issues de la renouée persicaire
(Polygonum persicaria), du sarrasin (Fagopyrum sp.), du millepertuis (Hypericum
sp.), des légumineuses fourragères (Trifolium sp., Medicago sp., Vicia sp.), etc.
- Substances hépatotoxiques d’origine médicamenteuse, infectieuse ou végétale :
arsenic, phosphore, dérivés de la malonylurée, certains sulfamides, leptospires,
sorgho (Sorghum vulgare et S. sudanense), lupin (Lupinus sp.), asphodèle
(Narthrecium ossifragum), tribule (Tribulus terrestris), sporidesmines
synthétisées par Pithomyces chartarum, etc.
- Substances photosensibilisantes d’origine endogène : phylloérythrine, porphyrines.
La phylloérythrine est une porphyrine dérivée de la chlorophylle qui se forme dans
le tractus digestif des herbivores sous l’action des micro-organismes qui y sont
présents. Une partie de cette phylloérythrine est rejetée dans les fèces et l’autre
est absorbée et arrive au foie par le système porte pour être ensuite excrétée
avec la bile (cycle entéro-hépatique). Si pour une raison ou pour une autre,
l’excrétion biliaire de cette substance est interrompue (action de végétaux ou de
minéraux hépatotoxiques, maladies infectieuses ou parasitaires lésant le foie,
obstacle mécanique à l’écoulement de la bile par la grande douve ou des calculs), la
phylloérythrine passe dans la circulation générale, s’accumule dans la peau et
provoque des lésions de photosensibilisation après exposition aux rayonnements
solaires. Les porphyrines (hématoporphyrine, uroporphyrine I, deutéroporphyrine
III, coproporphyrine I et II) sont présentes en très faible quantité à l’état libre
dans les réticulocytes, la substance blanche nerveuse et la bile. Elles sont
présentes à l’état combiné avec le fer dans l’hème de l’hémoglobine et de la
myoglobine et avec le magnésium dans la chlorophylle. Après dégradations de ces
trois pigments par les bactéries intestinales, elles sont résorbées et transportées
jusqu’au foie où elles sont en partie détruites et en partie transformées en
bilirubine ou éliminées dans la bile et les urines. Leur augmentation dans l’organisme
peut être liée à un excès d’apport de chlorophylle associé à des putréfactions du
contenu intestinal (qui induit un catabolisme exagéré de l’hémoglobine et de la
myoglobine avec pertes de fer) ou à une diminution de leur destruction ou de leur
élimination liée à une atteinte hépatique ou des voies biliaires. Leur accumulation
provoque des troubles cutanés de photosensibilisation ainsi que des troubles
urinaires, dentaires et osseux. [7,22]
Mode d’action :
Les substances photosensibilisantes sont des substances photodynamiques qui
imprègnent le corps muqueux de Malpighi et rendent ainsi la peau sensible à des radiations
lumineuses auxquelles elle n’est habituellement pas sensible. De plus, elles abaissent le seuil
de tolérance cutané aux rayonnements solaires et entraînent une réaction même lors
d’exposition limitée. [22]
Au niveau de la peau, ces agents photodynamiques absorbent l’énergie solaire et sont
excités par des longueurs d’ondes spécifiques (radiations visibles et/ou les rayonnements
ultraviolets selon que la substance incriminée absorbe l’une et/ou l’autre de ces radiations).
Ils passent alors à un niveau d’énergie supérieur et émettent de l’énergie pour pouvoir revenir
à leur état initial. En présence d’oxygène, l’énergie produite permet la formation de radicaux
libres oxydants à partir de molécules présentes dans les cellules cutanées. Ces radicaux libres
vont ensuite modifier la structure des lipides insaturés qui composent les membranes
cellulaires. [7,22]
Il existe deux mécanismes d’action faisant tous deux intervenir une augmentation de la
perméabilité cellulaire :
- Certains agents se fixent à la surface de la cellule et provoquent des changements
de perméabilité de la membrane entraînant une fuite de K+ et une extrusion du
cytoplasme
- D’autres se concentrent dans les lysosomes où ils provoquent la destruction de la
membrane lysosomiale (via les radicaux libres oxygénés). Des enzymes
hydrolytiques et des médiateurs de l’inflammation sont alors libérés. [7]
Ces substances sont efficaces par contact direct avec la peau ou par voie
intradermique, intraveineuse et digestive (dans ce cas, elles gagnent l’épiderme par voie
sanguine). L’agent photodynamique doit en effet se trouver dans la peau pour provoquer des
lésions. La pigmentation naturelle de la peau exerce néanmoins un rôle de protection du
tégument à l’égard des radiations photosensibilisantes. Les poils pigmentés limitent quant à
eux le passage des rayonnements mais n’assurent pas une protection complète des peaux
dépigmentées. [7,22]
Classification des différents types de photosensibilisation :
Finalement, on distingue trois types de photosensibilisation.
Photosensibilisation primaire :
L’agent photodynamique pénètre par voie digestive, est absorbé dans le tractus
digestif et partiellement excrété par le foie. La partie non éliminée passe dans la circulation
sanguine et l’agent photodynamique atteint ainsi la peau.
C’est ce qu’on observe lors de l’intoxication par le millepertuis (Hypericum perforatum),
le sarrasin (Fagopyrum sp.), l’avoine (Medicago sativa), le ray grass (Lolium perenne), les
trèfles (Trifolium pratense et T. hybridum), la carotte sauvage (Cynopterus sp.) ou lors
d’administration de phénothiazine, de l’association sulfamide-triméthoprime, etc. [7]
Photosensibilisation secondaire ou hépatogène :
La photosensibilisation secondaire semble être la plus fréquente chez les ruminants.
Elle est due à une atteinte hépatique congénitale ou acquise provoquant une stase biliaire.
Cette atteinte peut être due à une plante (avoine (Avena sativa), choux (Brassica napus),
sorgho (Sorghum vulgare), etc.), une toxine (sporidesmines) ou un agent infectieux
(leptospires, virus de la fièvre de la vallée du Rift, etc.) ou parasitaire (grande douve). L’agent
photodynamique est alors la phylloérythrine. [7,31]
Photosensibilisation par synthèse aberrante de pigments :
Ce type de photosensibilisation est dû à un défaut métabolique héréditaire (altération
de la synthèse de l’hème) qui se traduit par l’accumulation de porphyrines et de protophyrines
dont une partie se retrouve alors dans la circulation générale et peut gagner la peau où ces
pigments sont responsables de la photosensibilisation. [7]
Circonstances d’intoxication :
Les appels concernant les plantes photosensibilisantes représentent 0,9% des appels
de toxicologie végétale pour les ruminants au CNITV (1,1% des appels pour les bovins et 0,8%
pour les ovins).
Graph.84. Répartition des appels concernant les plantes photosensibilisantes par espèce (données du
CNITV : 34 appels)
Sur les 34 appels au CNITV concernant les plantes photosensibilisantes chez les
ruminants, 85% impliquent des bovins et 15% impliquent des ovins.
Graph.85. Répartition annuelle des appels concernant les plantes photosensibilisantes (données du
CNITV : 34 appels)
Les appels au CNITV concernant les plantes photosensibilisantes sont répartis de
février à octobre avec un maximum en mai.
Signes cliniques :
Ils sont plus ou moins intenses en fonction de la dose et de l’activité de la substance
photosensibilisante absorbée, du temps d’exposition au soleil, de la robe et de l’espèce
animale touchée (avec des variations de sensibilité individuelle importante) [22].
- Signes généraux : abattement ou au contraire excitation, parfois agalactie,
hyperthermie, adénomégalie [7,22,34]
- Signes digestifs (précèdent la photosensibilisation chez les bovins) : inrumination,
constipation, légère météorisation [22]
- Signes nerveux : hyperexcitabilité, mouvements désordonnés chez les brebis,
phases de prostration entrecoupées de crises épileptiformes chez les bovins,
démarche raide [7,22]
- Signes cardio-vasculaires et respiratoires (dans les cas graves) : tachycardie,
arythmie, dyspnée, signes de congestion pulmonaire [7]
- Signes urinaires : parfois urines foncées [22]
- Signes oculaires : photophobie [7,34]
- Troubles métaboliques : parfois ictère (photosensibilisation hépatogène) [7,22]
- Signes cutanés : hyperesthésie cutanée et prurit intense, érythème, oedème et
inflammation au niveau des zones dépourvues de poils ou dépigmentées (oreilles,
mufle, autour des yeux, muqueuses oculaires et vulvaire, cou, dos, mamelle)
[7,22,34].
Graph.86. Signes cliniques et lésions rapportés lors des appels au CNITV concernant les plantes
photosensibilisantes (n=34)
Les signes cliniques les plus fréquemment rapportés lors des appels au CNITV
concernant les plantes photosensibilisantes sont les signes caractéristiques d’une
photosensibilisation (signes cutanés : oedème et érythème cutané, hyper/parakératose,
nécrose cutanée, signes généraux et digestifs : hyperthermie, amaigrissement lié à l’anorexie,
troubles métaboliques : l’ictère découle de l’atteinte hépatique provoqué par l’ingestion de
certaines plantes photosensibilisantes). Enfin, on rapporte parfois au CNITV les signes
précurseurs de la photosensibilisation chez les bovins (diarrhée et congestion des
muqueuses).
Evolution :
Si l’animal est mis rapidement à l’ombre, les signes rétrocèdent en quelques heures.
Sinon, des vésicules puis des pustules apparaissent, libèrent leur contenu qui agglutine
les poils et collecte les poussières en formant des croûtes noirâtres (d’où le nom de « noir
museau » chez le mouton). Les tissus mortifiés s’éliminent par des exfoliations brunes ou de
larges lambeaux à partir d’un sillon disjoncteur. La guérison des lésions est longue et les poils
ne repoussent pas toujours au niveau des zones lésées.
Dans les cas les plus sévères et si les causes de photosensibilisation ne sont pas
éliminées, la mort peut survenir en 8 à 12 heures. [7,22].
Lésions :
Au niveau cutané, on peut distinguer successivement un stade papuleux ou
érythémateux avec exsudation superficielle, puis un stade vésiculeux, pustuleux et
croûteux, et enfin un stade d’escarrification [22,34].
On peut également observer une hépatite, une distension et une hypertrophie de la
vésicule biliaire [22].
Diagnostic différentiel :
Il faudra faire un diagnostic différentiel entre les causes de photosensibilisation et le
coup de soleil. En cas de photosensibilisation, les lésions sont exclusivement localisées au
niveau des zones dépigmentées et elles apparaissent rapidement même en cas d’exposition
solaire limitée ou d’interposition d’une vitre entre l’animal et les rayons solaires. Le coup de
soleil exige quant à lui une exposition intense et prolongée. La photosensibilisation diffère
d’un coup de soleil par la présence d’un agent photodynamique. [2,7,22]
Il faudra également différencier la photosensibilisation de l’urticaire (hypersensibilité
de type I localisée), la dermatite de contact, l’anasarque, la besnoïtiose et le coryza
gangreneux lors d’atteinte du mufle et des muqueuses oculaires [7].
Il faudra ensuite distinguer les différentes causes de photosensibilisation.
Photosensibilisation secondaire :
L’eczéma facial, dû à l’ingestion de fourrages contaminés par des sporidesmines
(mycotoxines), appartient aux photosensibilisations secondaires. Les sporidesmines
provoquent une cholestase par atteinte des voies biliaires avec accumulation secondaire de
phylloérythrine dans le derme. L’état général de l’animal est en général fortement atteint et
les lésions hépatiques évoluent vers la fibrose et la cirrhose.
Les lithiases biliaires sont également des causes de photosensibilisation secondaires.
Elles sont moins fréquentes que l’eczéma facial et l’intensité des lésions observées est moins
importante que dans le cas de l’eczéma facial.
De même, la présence d’abcès au niveau du canal cholédoque peut causer une
cholestase et donc une photosensibilisation secondaire.
La leptospirose bovine peut aussi se traduire chez l’adulte par des lésions de
photosensibilisation secondaire en raison de la cholestase intra-hépatique qui en découle. On
observe alors une hyperthermie qui ne rétrocède pas après la mise à l’ombre de l’animal avec
un ictère tardif. Elle se traduit néanmoins plus souvent par des troubles de la reproduction
avec avortement.
La fièvre de la vallée du Rift appartient également aux photosensibilisations
secondaires. [7,22,34].
Photosensibilisation par synthèse aberrante de pigments :
Lors de porphyrie (accumulation de porphyrines d’origine congénitale), les jeunes veaux
sont très rapidement atteints après la naissance. Outre les lésions de photosensibilisation, on
observe également une coloration brune des os, une coloration rose des dents (couleur orange
fluorescente lorsqu’elles sont éclairées par des UV) et une couleur sombre des urines. [7]
Diagnostic expérimental :
Pour différencier les photosensibilisations primaires et secondaires, on peut doser la
Gamma Glutamyl Transpeptidase (GGT) qui est un marqueur de la cholestase chez les
ruminants. Elle est fortement augmentée en cas de photosensibilisation secondaire et ce
avant même que l’ictère n’apparaisse. [7,34]
Traitement :
- Mise à l’ombre des animaux jusqu’à désensibilisation [7,22]
- Destruction des fourrages contaminés ou retrait des animaux des parcours
contenant des plantes photosensibilisantes [22]
- Traitement local des lésions cutanées (solutions antiseptiques et pommades) [22]
- Corticoïdes pour limiter le phénomène inflammatoire [7,22]
- Cholérétique en cas d’atteinte hépatique [7]
- Antihistaminiques [22].
Pronostic :
D’après les données du CNITV concernant les plantes photosensibilisantes, le taux de
morbidité est de 40% chez les bovins (pour 228 bovins exposés) et 14% chez les ovins (pour
775 ovins exposés). Le taux de mortalité atteint 2% chez les bovins et 4% chez les ovins. Le
taux de létalité atteint, quant à lui, 7% chez les bovins et 30% chez les ovins.
Le pronostic est souvent moins bon en cas de photosensibilisation secondaire qu’en cas
de photosensibilisation primaire car les lésions hépatiques sont alors souvent irréversibles et
l’animal finit par devenir une non valeur économique [34].
Il est donc important d’établir un diagnostic précocement et de mettre en place
rapidement un traitement spécifique en particulier lors de photosensibilisation secondaire
afin d’éviter des pertes économiques qui peuvent être importantes pour l’éleveur (viande, cuir,
etc.) [7].
Version : 2009