Œnanthe safranée (Œnanthe crocata L.)

APIACEES
Photos Œnanthe safranée
Bibliographie [
11, 12, 16, 24, 27, 33]

Noms vernaculaires
:
  Navet du diable, pensacre, oenanthe à suc jaune, persil laiteux, fenouil d’eau,
fenouil aquatique, pin-pin, panfeu.
  Nom anglais : dead men’s fingers, hemlock water dropwort.

Description botanique :
  L’oenanthe est une grande plante vivace atteignant 60 à 120 cm de haut.
  La racine porte cinq à six tubercules sessiles en forme de fuseau allongé mesurant 10 à
30 cm de long. Ces tubercules sont striés longitudinalement et souvent profondément enfouis.
Une fois coupés, ils laissent exsuder un suc jaune (rappelant la couleur du safran) qui devient
progressivement noir lorsqu’il est exposé à l’air.
  La tige est glabre, robuste, creuse, sillonnée et ramifiée.
  Les feuilles sont pétiolées et engainantes à la base. Les feuilles radiales sont
deux à trois fois divisées alors que les feuilles supérieures sont deux fois divisées. Leurs
segments sont larges, ovales, incisés à dentés.
  Les fleurs blanches ou rosées sont regroupées en une ombelle de dix à trente rayons
portant des ombellules.
  Le fruit est un diakène cylindrique, long de 4 à 6 mm, de largeur constante.
  Il est côtelé et les côtes de la commissure sont plus développées que les autres.

Biotope :
  L’œnanthe affectionne les endroits humides : bord des ruisseaux et des rivières,
fossés, talus, et prairies humides. Elle est assez commune dans l’ouest de la France
(Bretagne, Normandie et Vendée) et en Corse. On peut également la rencontrer sur le reste
du territoire français.

Période de floraison :
  L’œnanthe fleurit de juin à juillet.

Parties toxiques de la plante :
  C’est le suc contenu la racine qui est toxique. La dessiccation diminue la toxicité sans la faire disparaître :
les substances toxiques se décomposent rapidement dans l’air mais elles restent longtemps stables et
donc actives au sein de la racine.

Principes toxiques :
  Le suc de la racine contient :
- De l’œnanthotoxine (ou œnanthétoxine) : sa concentration est maximale en hiver et
au début du printemps
- De l’œnanthétol
- De l’œnanthétone.

  L’œnanthétol et l’œnanthétone ont une toxicité beaucoup plus faible que
l’œnanthotoxine.

Mode d’action :
  L’œnanthotoxine possède des propriétés convulsivantes mais son mode d’action sur le
système nerveux central est mal connu.
  Elle possède une action directe sur le muscle cardiaque se traduisant par une
hypotension fugace suivie d’une hypertension très marquée.
  A faible dose, elle stimule le système respiratoire mais à forte dose, elle entraîne un
spasme bronchique et une polypnée.

Pharmacocinétique :
  L’absorption digestive de l’oenanthotoxine est très rapide (quelques minutes à quelques
heures suivant les quantités ingérées). Elle est ensuite transportée par voie sanguine jusqu’au
cerveau puis elle est éliminée par voie pulmonaire et rénale.

Dose toxique :
- Elle est de 1 à 1,25 g de racine fraîche par kilo chez les bovins.
- Elle est de 2 g de racine fraîche par kilo chez les ovins et les caprins.

Circonstances d’intoxication :
  Les appels concernant l’oenanthe représentent 0,8% des appels de toxicologie végétale
au CNITV pour les ruminants (1% des appels pour les bovins, 0,3% pour les ovins et 0,2% pour
les caprins).


Graph.81. Répartition des appels concernant l’oenanthe par espèce (données du CNITV : 29 appels)

  Les bovins sont les plus concernés par cette intoxication. Sur les 29 appels au
CNITV concernant l’œnanthe chez les ruminants, 90% impliquent les bovins et seulement 7%
et 3% impliquent respectivement les ovins et les caprins. De plus, les bovins sont plus
sensibles à cette intoxication que les ovins.
  L’intoxication survient principalement lorsque les racines d’oenanthe sont mises à nu
par des travaux de drainage, le curage des fossés, le labourage de zones inexploitées ou
même par l’effondrement des canaux d’irrigation sous le poids des animaux. Ces
tubercules dégagent une odeur désagréable mais leur saveur est douceâtre, ce qui, additionné
à leur succulence, les rend appétents pour les ruminants en particulier en période de
sécheresse.


Graph.82. Répartition annuelle des appels concernant l’oenanthe (données du CNITV : 29 appels)

  L’intoxication survient surtout en fin d’été, lors d’année chaude et sèche. Les
appels au CNITV concernant l’oenanthe atteignent d’ailleurs un maximum en août.

Signes cliniques :
Forme suraiguë :
  La mort survient en quelques minutes sans symptômes préalables.

Forme aiguë :
  Les signes cliniques apparaissent rapidement après l’ingestion (en quelques minutes à
quelques heures) :
- Signes généraux : abattement, tristesse, agitation, anxiété
- Signes digestifs : ptyalisme (salive spumeuse), diarrhée noirâtre et nauséabonde,
coliques
- Signes nerveux : trismus, ataxie, convulsions violentes parfois entrecoupées de
phases de dépression comateuse
- Signes cardio-vasculaires : congestion des muqueuses, pouls rapide et filant
- Signes respiratoires : dyspnée, polypnée
- Signes oculaires : mydriase, nystagmus, conjonctives congestionnées.
  Les ovins sont moins sensibles à cette intoxication que les bovins, ils présentent
parfois simplement une forte diarrhée [12].


Graph.83. Signes cliniques et lésions rapportés lors des appels au CNITV concernant l’oenanthe (n=29)

  Les signes cliniques les plus fréquemment rapportés lors des appels au CNITV
concernant l’oenanthe sont des signes généraux (décubitus dans 20,7% des cas, prostration
dans 17,2% des cas et hyperthermie dans 10,3% des cas), des signes nerveux (convulsions
dans 27,5% des cas, ataxie dans 17,2% des cas, attitude anormale dans 13,8% des cas et
trémulations musculaires dans 10,3% des cas), des signes digestifs (coliques et
hypersalivation dans 10,3% des cas) et des signes respiratoires (oedème pulmonaire dans
13,8% des cas et dyspnée dans 10,3% des cas).

Evolution :
Cette intoxication est souvent fatale. Les animaux ayant survécu peuvent rester paralysés du
train postérieur. Chez les ovins, la mort peut également survenir en quelques heures mais certains
animaux se rétablissent parfois complètement.

Lésions :
  Les lésions ne sont pas spécifiques :
- Congestion généralisée
- Gastro-entérite hémorragique avec pétéchies et suffusions
- Pétéchies et infarcissement pulmonaires, oedème aigu du poumon (rapporté dans
13,8% des cas au CNITV)
- Congestion cérébrale et distension des veines de la pie-mère
- Pétéchies au niveau du myocarde et de la muqueuse trachéale
- Des hémorragies d’organe sont rapportées dans 10,3% au CNITV.
Une odeur de céleri grillé se dégage à l’ouverture du rumen.

Diagnostic différentiel :
  Il comprendra les autres causes de mort subite (fulguration, intoxication par l’if, etc.).
Il faudra également penser aux autres intoxications ou affections responsables de
troubles nerveux et digestifs majeurs.

Diagnostic expérimental :
  On retrouve parfois des morceaux de tubercules dans le rumen. On peut
également extraire l’œnanthotoxine à partir du matériel végétal recueilli dans le rumen (en
particulier les fragments de tubercules congelés et envoyés sous couvert de froid au
laboratoire) par le dioxyde d’éthyle. On peut ensuite analyser son spectre d’absorption
UV ou réaliser une analyse par chromatographie sur couche mince (ce sont les techniques les
plus rapides et les plus faciles à mettre en oeuvre mais on peut aussi utiliser la
chromatographie liquide haute performance ou la spectrométrie de masse). La
recherche sur le sang ou l’urine n’est par contre pas réalisable en raison des faibles
concentrations en principe toxique ou du coût des techniques nécessaires (chromatographie
en phase gazeuse et spectrométrie de masse, uniquement abordables dans des laboratoires à
vocation pédagogique comme ceux des Ecoles Nationales Vétérinaires).

Traitement :
  On peut réaliser une ruminotomie d’urgence.
  Le traitement médical est purement symptomatique et souvent illusoire :
- Charbon végétal activé
- Anticonvulsivants : diazépam ou barbituriques ou xylazine ou acépromazine (5 mg
pour 100 kg) pour traiter les troubles nerveux. Il semble que le pentobarbital sodique (20 mg/kg en IV)
soit le traitement le plus efficace.
Il est d’autant plus efficace qu’il est administré rapidement après l’apparition des
troubles nerveux et il peut être associé à la xylazine. Les antiépileptiques n’ont
par contre aucune efficacité sur ces troubles.
- Analeptique respiratoire : doxapram
- Antidiarrhéique
- Perfusion de sérum glucosé.

Pronostic :
  Le pronostic est toujours réservé et si l’animal survit, il peut présenter des séquelles
irréversibles.
  D’après les données du CNITV, le taux de morbidité est de 40% chez les bovins (pour
273 bovins exposés), 31% chez les ovins (pour 101 ovins exposés) et il est nul chez les caprins
(pour 5 caprins exposés). Le taux de mortalité atteint 22% chez les bovins, 30% chez les
ovins et il est nul chez les caprins. Le taux de létalité atteint, quant à lui, 54% chez les
bovins, 97% chez les ovins et il est nul chez les caprins. Le taux de létalité plus élevé chez les
ovins que chez les bovins alors qu’ils sont, d’après les données bibliographiques, moins
sensibles aux principes toxiques de l’oenanthe, peut s’expliquer par le fait que ces animaux ont
une moindre valeur économique et qu’ils sont souvent, de ce fait, moins « médicalisés » que les
bovins.